IA Féodale : Quand les Seigneurs de la Silicon Valley règnent sur nos données
Ah, l’Histoire ! Elle adore recycler ses grandes idées pour les adapter à son époque. Prenez le monde féodal : des paysans trimaient sur des terres prêtées par leur seigneur, récoltaient dur, et une bonne part de leur production finissait dans les coffres du château. En échange ? Un semblant de protection, et un lopin de terre pour survivre.
Aujourd’hui, nous voilà de retour dans un système étrangement similaire. Tout en haut, la Reine Cersei, fidèle à son style, règne depuis son trône de fer, niché dans un data center refroidi derrière le Mur. Les Lannister, géants de la tech moderne, orchestrent des alliances fragiles pour s’assurer que rien ne perturbe leur domination. Et pendant que certains rêvent de renverser la Reine, d’autres, tels les Stark, imaginent encore qu’un code éthique pourrait changer les règles du jeu.
Et nous, simples sujets du royaume digital, où sommes-nous dans cette fresque ? Ni alliés, ni rebelles. Juste des vassaux, obéissant sans broncher à des lois écrites dans un langage qu’on ne comprendra jamais.
Bienvenue dans l’ère de l’IA féodale.
De la terre au cloud : le nouveau servage numérique
Aujourd’hui, on ne cultive plus des champs, mais des données. Chaque clic, chaque recherche Google, chaque question posée à ChatGPT, chaque vidéo TikTok partagée, c’est une graine semée dans les serveurs des géants du numérique. Ces données nourrissent des modèles d’IA qui deviennent de plus en plus puissants… gratuitement. Car oui, nous travaillons tous, souvent sans le savoir, pour ces nouveaux seigneurs.
Un exemple concret ? Le gaming. Quand un éditeur de jeux vidéo lance une bêta ouverte, ce n’est pas un geste de générosité. Il embauche, sans frais, des milliers de joueurs passionnés pour tester son produit. Ces joueurs repèrent les bugs, signalent les dysfonctionnements, optimisent les mécaniques… gratuitement. Imaginez Ubisoft ou Blizzard tendant un râteau en disant : « Allez-y, labourez nos terres virtuelles, et en prime, vous pourrez acheter la version finale pour 70€. » Malin, non ?
TikTok : l’art de cultiver la data
TikTok, c’est le bijou stratégique de ce féodalisme numérique. En surface, c’est un réseau social fun, addictif, où tout le monde danse, cuisine, et partage ses astuces beauté. En réalité, c’est une gigantesque machine à capturer nos comportements : ce que nous aimons, ce que nous regardons, ce qui nous retient sur l’écran.
Mais le modèle est encore plus subtil. Il y a deux TikTok. La version occidentale, qui fait office de laboratoire géant pour nourrir un algorithme toujours plus puissant. Et Douyin, la version chinoise, un outil local qui alimente un cloud souverain. L’objectif ? Rattraper le retard technologique de la Chine sur les géants comme Amazon ou Google. Pendant que vous scrollez sans fin, ces plateformes engrangent des données pour se bâtir un empire numérique. Et vous ? Vous êtes le paysan numérique qui laboure le champ… quasiment gratuitement.
IA et data : la moisson invisible
Là où le capitalisme classique avait encore une logique d’échange (travail contre salaire), ce nouveau modèle casse les codes. Vous travaillez, mais vous ne recevez rien. Pire encore, vous payez parfois pour avoir le droit de contribuer : abonnement premium, achats in-app, contenu sponsorisé. Vous financez vos propres chaînes.
Et contrairement à une usine ou une exploitation agricole, l’IA n’a pas besoin de matières premières classiques. Pas de minerai, pas de machines lourdes, pas d’ouvriers. Tout repose sur des données… vos données. Et devinez quoi ? Ces données ne sont soumises à aucun impôt. L’économie de l’IA est si immatérielle qu’elle échappe aux règles fiscales traditionnelles. Pas de machines physiques, pas de salariés humains à déclarer. Le jackpot pour les nouveaux seigneurs numériques.
Le retour du capitalisme romantique ?
Ironie de l’histoire : certains en viennent presque à regretter le capitalisme industriel. Certes, ce n’était pas parfait : exploitation, pollution, inégalités… mais il y avait un échange tangible. Une journée d’usine, un salaire. Une production, un impôt. Aujourd’hui, l’IA casse ce cycle. Elle transforme l’utilisateur en travailleur non rémunéré, et l’État en spectateur impuissant.
Avons-nous vraiment régressé vers un Moyen Âge numérique ? Ce techno-féodalisme a-t-il définitivement enterré l’espoir d’une économie équitable et vertueuse pour tous ? Sommes-nous les nouveaux ouvriers modernes, armés d’outils mondialement standardisés mais cloud-formatés, privés de toute autonomie ?
Bienvenue dans la Matrice. Suivez le lapin blanc, prenez la pilule bleue et retournez à une ignorance confortable.